Eugène Sue, romancier de la mer

Combien d'entre nous savent qu'Eugène Sue est le créateur du roman maritime français ? Nous avons eu envie de partager cette découverte due à la lecture d'un article de Louis Pillon sur le canotage : "…la littérature maritime qu'Eugène Sue développe, toutes ces raisons poussent le Parisien vers les rives de la Seine pour embarquer".

Eugène Sue a débuté sa carrière de romancier à succès, entre 1830 et 1835, par des récits d'aventures maritimes, qui ont reçu un accueil tout à fait favorable de la critique et des lecteurs.

Balzac  écrit avec chaleur et quelque emphase en 1830 à son ami Victor Ratier, directeur de La Silhouette, suite à sa lecture de Kernok le pirate.


"Que j’ai admirablement conçu [compris] les corsaires, les aventuriers, les vies d’opposition ; et là je me disais : c’est la vie, c’est du courage, de bonnes carabines, l’art de se diriger en pleine mer et la haine de l’homme (de l’anglais par exemple)".

Portrait de Sue par François-Gabriel Lépaulle au Musée Carnavalet de Paris
François-Gabriel Lépaulle, Portrait d'Eugène Sue, 1835. Paris, Musée Carnavalet

 Walter Scott et Fenimore Cooper l'avaient précédé dans cette voie et la traduction de leurs œuvres était un succès en France.

 

Eugène Sue, comme Cooper, est un marin. En effet son père, médecin-chef de la Maison militaire du roi, l'a poussé à la marine après une adolescence — disons agitée ; et c'est dans ce cadre qu'il est formé à la chirurgie.

Il est surtout tenté par la littérature mais une première tentative n'est pas couronnée de succès.

 

Il s’embarque donc comme chirurgien de marine de 1826 à 1829.

 

 

Il participe notamment à la bataille de Navarin, cette victoire des escadres française, anglaise et russe de la Triple-Alliance sur la flotte turco-égyptienne du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali, le 20 octobre 1827 qui décida en partie de l'indépendance de la Grèce.

Tableau de 1848 d'Auguste Mayer sur la bataille de Navarin. La scène se situe le soir, après le combat : vaisseaux dématés et incendiés, équipages tentant d'échapper à la noyade…
Auguste Mayer, Au soir de la bataille de Navarin, 1848. Musée national de la marine
Le Breslau durant la bataille, partie d'une gravure de George Philipp Reinagle.
Le Breslau durant la bataille, partie d'une gravure de George Philipp Reinagle.

 Eugène Sue est alors le médecin-chirurgien d'un vaisseau de ligne de 74 canons, de la classe Téméraire, le Breslau, sous le commandement de Botherel de la Bretonnière.

Il décrit les affrontements du combat dans une nouvelle Le Présage, insérée avec d'autres contes et nouvelles publiés ici et là dans le recueil La Cucaracha en 1831.

 

"Mais autour de nous, quelle scène de dévastation ! une mer chargée de débris et de cadavres, des navires désemparés, criblés de boulets, à moitié brûlés, des embarcations chargées de blessés et de mourants qui imploraient du secours, et plus loin un immense incendie qui dévorait la flotte marchande, et fait presque pâlir la lumière du soleil".

Après avoir quitté la marine, Eugène Sue publie, et cette fois le succès est au rendez-vous :

  • Kernok le pirate et El Gitano ou les contrebandiers espagnols en 1830,
  • Atar-Gull en1831,
  • La Salamandre en 1832
  • et La Vigie de Koat Vën en 1833.

La Revue des deux mondes écrit en 1834 :

"L'espace nous a manqué jusqu'à ce jour pour parler convenablement du beau roman de M. Sue, publié il y a quelques mois. Le grand succès de la Vigie de Koat-Ven rend cette omission encore plus frappante…".

Tableau de Jugelet représentant la vigie de Koat-Ven
Jean-Marie Auguste Jugelet, La Vigie de Koat-Ven, 1860. Musée d'art et d'histoire de Rochefort, photo de G. Legeais

Le Journal des débats de 1842 juge ainsi les premières œuvres d'Eugène Sue :

 

"Elles furent maritimes par la forme littéraire, par le cadre si on peut ainsi parler, et pessimistes par le fond des idées et par le but. M. Eugène Sue avait si bien vu les marins, qu’il voulut les peindre : cela était bien naturel ; et on disait même plaisamment à cette époque qu’il avait inventé la mer ; le fait est qu’il avait au moins le mérite d’avoir importé chez nous, avec toutes sortes de perfectionnements, un genre de littérature que Le Pirate, de Walter Scott, et Le Corsaire Rouge, de Cooper avaient illustré".

 

Francis Lacassin écrit en 1993 dans sa préface à l’édition des "Romans de mort et d’aventure" d’Eugène Sue dans la collection Bouquins.


"Effectivement à travers le pirate, le contrebandier, le négrier ou le marin militaire, c’est le même personnage que compose et recompose Eugéne Sue. Un personnage sulfureux…Sue…en fait le maître d’un navire. Espace fortifié d’où il défie à la fois la société et ses lois, tous les autres hommes, les fureurs de la nature. Espace insaisissable où seule pourrait l’atteindre la justice divine... s’il y croyait".


À ce titre les romans maritimes de Sue annoncent bien le procès du système social que sera Les Mystères de Paris, publié en feuilleton entre 1842 et 1843.

Enfin Sue rédige une vaste Histoire de la Marine en 4 tomes, publiée de 1835 à 1837, extrêmement romanesque, qui lui vaut la Légion d'honneur en 1839.

Et il ne publiera plus de romans maritimes…

Gravure de Benjamin représentant Eugène Sue au milieu de ses œuvres maritimes
Panthéon charivarique, grav. de B. Roubaud, dit Benjamin. Musée Carnavalet

Caricature d'Eugène Sue, au milieu de ses œuvres maritimes…

 

"Sur la mer littéraire orageuse parfois

En habile marin navigue Eugène Sue

Sans l’arrêter jamais la critique déçue

Voit sa plume filer un succès tous les mois".

 

 

 

 

 

 

Pour ceux que la lecture de cette littérature tente, les livres d’Eugène Sue sont libres de droit.

Vous les trouverez disponibles au téléchargement sur le site de la Bibliothèque numérique normande sous divers formats, dont epub.

Cliquez sur sa vignette pour télécharger l’un de ces six romans.


Pour aller plus loin…